CHAPITRE XVIII
Wila Prammi fut élue Gouverneur de Gala à une majorité écrasante. Après avoir renoncé à sa candidature, le prince Beju lui accorda son soutien. Il dénonça l’alliance entre Giba et Offworld, discréditant Deca Brun aux yeux du peuple. Après un entretien avec Wila, Élan se rallia aussi à sa cause et lui offrit les voix du peuple des collines.
La fête célébrant l’élection de Wila s’étendit jusque dans les rues. Citadins et gens des collines se mêlèrent pour clamer leur joie. Gala avait frôlé la révolte, mais la passation de pouvoir s’était faite de façon pacifique.
Les Jedi n’avaient plus rien à faire sur Gala. Qui-Gon s’inquiétait de voir que Xanatos était impliqué, même de loin, dans les événements. Désormais, son ancien apprenti devait savoir que les Jedi qui avaient été envoyés pour garantir la paix n’étaient autres qu’Obi-Wan et Qui-Gon et il risquait de venir à sa recherche. Qui-Gon ne pouvait compromettre la paix de Gala. Mieux valait se fondre dans la galaxie.
Qui-Gon se rendit dans les appartements de la Reine pour son ultime audience. Veda se tenait face à la fenêtre surplombant Galu, vêtue d’une robe de soie bleu nuit chatoyante. Elle ne portait pas le moindre bijou, et ses cheveux longs étaient tressés de façon très simple. Si les séquelles de la maladie ternissaient encore sa beauté, Qui-Gon constata des signes de guérison – elle avait les joues légèrement roses et le regard limpide.
– Qui-Gon, dit-elle, on m’a accordé une faveur exceptionnelle, à laquelle je ne m’attendais pas : je vivrai assez longtemps pour voir les effets de mon héritage. Beju aura une vie meilleure. (Elle eut un sourire contrit.) Même s’il ne s’en rend pas encore tout à fait compte, moi j’en suis certaine. Gala va connaître la liberté et la paix.
– J’en ai discuté avec Élan, dit Qui-Gon. Elle compte retourner dans les montagnes, mais a forgé des liens avec Wila. Je doute qu’à l’avenir elle se coupe totalement du monde comme elle l’a fait.
– Moi aussi, je me suis entretenue avec Élan, reprit la Reine. C’est une jeune femme tout à fait remarquable. Elle n’a pas accepté de prendre le nom de Tallah, mais elle y réfléchit. Il va sans dire qu’elle ajouterait le patronyme au nom de ses parents. Elle est têtue comme une mule !
– Et Jono ? demanda Qui-Gon. Obi-Wan s’inquiète pour lui.
– Bien qu’il l’ait trahi, remarqua la Reine. Le pardon vaut mieux pour nous tous. Jono sera puni – du moins le verra-t-il comme une punition. Nous allons le renvoyer dans sa famille afin qu’il devienne fermier. Il sera comme les autres, désormais.
– Et peut-être apprendra-t-il ce que liberté veut dire.
– Je l’espère, convint doucement la Reine. Et j’espère aussi que nous l’apprendrons tous. (Elle se tut et observa Qui-Gon.) Tout est bien qui finit bien. Vous avez accompli votre mission. Et pourtant, vous semblez triste.
– C’est vrai, admit Qui-Gon, je ressens une certaine tristesse. Moi-même, je ne saurais dire pourquoi. Parfois, notre propre cœur est un mystère impénétrable.
La Reine hocha la tête.
– Beju peut en témoigner. Mon fils commence à peine à se comprendre lui-même.
– J’ai beaucoup réfléchi à ce que je laisserai derrière moi après ma mort. Je ne cesse de voyager d’une planète à l’autre. Mais chaque fois, je ne fais que passer. Quel sera mon héritage ?
La Reine lui sourit. Elle tendit les bras pour englober la ville qui s’étendait en contrebas. Qui-Gon vit des gens qui se rendaient à leur travail, se rassemblaient dans des squares, discutaient au coin des rues. C’était un spectacle animé, mais paisible.
– Le voilà, dit-elle doucement.
Elle ne dit rien de plus, mais Qui-Gon décrypta parfaitement le message. Pour la première fois depuis son arrivée sur Gala, il se sentait ferme et résolu. En sa qualité de Jedi, il laissait justice et honneur à la postérité. Peu importait si la trace de ses pas s’effaçait ou si, dans quelques années, plus personne ne se rappelait les deux Jedi grâce à qui la transition d’un régime à l’autre s’était faite sans violence. Ils se souviendraient de la paix, et cela suffisait.
Et il avait Obi-Wan. À chaque mission, il était de plus en plus convaincu que son Padawan deviendrait quelqu’un d’extraordinaire, même pour un Jedi.
Son enseignement lui survivrait. En soi, c’était un héritage suffisant.
Et il y en avait certainement d’autres à découvrir.
Qui-Gon était en compagnie de la Reine depuis un certain temps déjà. Obi-Wan était assis dans la Chambre du Conseil en compagnie d’Élan et de Beju. Ces deux derniers n’avaient pas échangé une parole. Viso leur avait demandé de venir le retrouver là. Que pouvait-il bien leur vouloir ?
Viso entra dans la pièce. Il repoussa sa capuche et les contempla de ses yeux d’un bleu laiteux, ses yeux qui ne pouvaient voir, mais savaient où regarder.
– Merci d’être venus, dit-il. J’ai quelque chose à vous montrer. À toi aussi, Obi-Wan.
Ils le suivirent dans l’antichambre aux murs bleus. Viso fit signe à Élan de se tenir au centre du rectangle.
À peine ses pieds eurent-ils touché le symbole que les murs se mirent à luire. Des rayons de lumière jaillirent dans tous les sens. Les cheveux argentés d’Élan accrochèrent la lumière, formant un halo autour de son visage respirant l’intelligence.
Soudain, les rayons dorés l’entourèrent de toutes parts et se mirent à tourbillonner de plus en plus vite. Puis ils éclatèrent en une explosion de lumière dansante.
Élan se mit elle-même à luire faiblement. Puis Obi-Wan vit très nettement les contours d’une couronne se dessiner sur son cœur.
– Tu vois, Élan Tallah ? dit Viso. Tu es la Princesse Élan.
Celle-ci regarda l’ombre sur sa poitrine. Elle la toucha, tendit la main pour regarder danser la lumière dorée sur sa peau. Puis elle fit un pas de côté. Les faisceaux se rétractèrent aussitôt. Les murs cessèrent de luire. La salle redevint ce qu’elle était : une pièce vide.
– La dernière des princesses, dit Élan.
Viso se tourna vers Beju.
– Puis-je vous accompagner jusqu’à vos appartements, mon Prince ?
Beju avala sa salive et secoua la tête.
– Appelez-moi Beju.
Élan lui tendit la main en souriant.
– Viens, mon frère. Allons-y ensemble.
Obi-Wan regarda Élan et Beju quitter la pièce d’un même pas, suivis par Viso.
Le frère et la sœur avaient tous deux modifié l’idée qu’ils avaient de l’héritage que leurs parents leur avaient légué. Ils avaient construit une nouvelle route, adoptant un héritage fondé sur leurs caractères, non sur leur position sociale.
Voilà le signe de la véritable grandeur, se dit Obi-Wan.
Lui aussi suivait une voie inattendue. Le Code Jedi était aussi profondément ancré en lui que l’héritage des Tallah l’était en Beju et Élan. Ses liens à lui n’étaient pas moins importants.
Au cours de cette mission, songea Obi-Wan, il avait découvert quelque chose de très important.
Il avait compris sa place et son but dans l’existence.
Lorsqu’il se retourna, il vit que Qui-Gon s’était immobilisé sur le seuil. Il aurait bien voulu lui parler du renouvellement de son engagement et des questions qui l’avaient tourmenté durant son absence – toutes concernaient son héritage et ce qu’il signifiait.
Mais son Maître avait l’air si sévère ! Obi-Wan savait qu’il avait hâte de repartir. Leur prochaine mission les attendait déjà. Qui-Gon lui dirait de se concentrer là-dessus. De nouvelles luttes, de nouvelles questions. Toujours plus de questions que de réponses, il y a, comme disait Yoda.
Qui-Gon interrompit le cours de ses pensées.
– Il est temps de partir, dit-il.
Obi-Wan acquiesça.
– Je suis prêt.